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Silvia Costa : « Le monde de l’opéra, c’est un monde de rêves »

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Interview
5 février 2024
Tout le monde se l’arrache, et c’est bien normal. Silvia Costa est une metteuse en scène d’une intelligence, d’une créativité et d’une sensibilité rares dont on a besoin pour écouter et voir les œuvres autrement. Elle met en scène ‘L’Autre Voyage’ d’après Schubert à l’Opéra Comique jusqu’au 11 février.

Infos sur l’œuvre

Détails

Raconte-moi comment tu es arrivée dans le monde de l’opéra.

Je travaillais avec Romeo Castellucci depuis 2006 en tant qu’actrice jusqu’à ce que La Monnaie de Bruxelles l’invite pour la première fois à mettre en scène un opéra en 2009. Ce fut une première expérience de collaboration artistique qui m’a permis de comprendre les mécanismes d’une maison d’opéra et d’une production. L’aventure s’est ainsi poursuivie durant près de dix années pendant lesquelles j’ai eu la chance de rencontrer des personnes qui ont particulièrement remarqué mon travail et m’ont invitée à faire mes propres mises en scène par la suite. Le monde de l’opéra, c’est un monde de rêves. Et c’est une grosse machine : il y a beaucoup de moyens, beaucoup de monde, et je pense que c’est une force.

De quelle manière la musique vient-elle nourrir ton travail ?

J’ai une passion pour la musique. A l’opéra comme au théâtre, j’ai toujours besoin d’avoir de la musique dans les oreilles. C’est un moteur de créativité. Pour chercher les images, pour écrire le spectacle, j’ai besoin du son car le son crée immédiatement une densité, dans mon cerveau, dans l’air, et cette densité-là finit par faire surgir des choses. J’écoute de la musique quand je dessine la nuit aussi parfois, en particulier de l’orgue. J’aime le son de cet instrument qui donne à l’air une physicalité, c’est une cathédrale de sons et de souffles qui remplit l’espace et que j’ai l’impression de respirer.

Comment abordes-tu une œuvre et comment construis-tu ton travail autour de celle-ci ?

Avant même d’entrer dans le livret, je commence par écouter la musique pour voir s’il y a quelque chose qui m’appelle, un peu comme un enfant qui dit « ça j’aime bien », « ça je n’aime pas ». Après cette première rencontre, je vais chercher dans le livret ce qui m’intéresse et puis je réfléchis à l’espace ou à un concept qui me permet dire, « cette œuvre, c’est ça ». Et lorsque j’ai enfin un squelette, je consacre des heures à travailler les détails, millimètre par millimètre, en cherchant à entrer dans les mailles de la musique et l’interpréter.

Avant de parler de Schubert je voulais faire une incise avec Debussy qui a fait partie de plusieurs de tes projets comme The Timeless Moment au Staatsoper de Berlin récemment… Qu’est-ce qui t’inspire et te touche en particulier chez ce compositeur ?

Ma première rencontre avec Debussy a eu lieu avec un projet qui n’a malheureusement jamais vu le jour. Je devais mettre en scène La Demoiselle élue de Debussy en diptyque avec Le Journal d’un disparu de Janáček au Capitole de Toulouse. Dès lors, je n’ai cessé d’écouter sa musique et j’ai approfondi ma connaissance de ce compositeur à l’occasion du projet The Timeless Moment, notamment grâce au pianiste Alain Franco qui m’a parlé de la musique de Debussy comme une résonance. Pour moi, la musique de Debussy est comme la surface de l’eau mais sans reflet. Parce qu’elle est sombre. Elle est comme une eau originelle, presque un ventre maternel. Elle a quelque chose d’à la fois très obscur et en même temps de très vivant.

Place à Schubert maintenant. Parle-moi du projet de L’Autre voyage.

L’idée est venue de Raphaël Pichon qui m’a proposé de travailler avec lui sur ce projet, à l’occasion de notre collaboration sur le Requiem de Mozart mis en scène par Castellucci au festival d’Aix en 2019. Son envie était de faire un spectacle autour des œuvres inachevées de Schubert, et c’est à cette occasion que j’ai découvert qu’il avait écrit des opéras. Cette idée d’inachèvement m’a beaucoup marquée car je trouve qu’il y a là-dedans quelque chose de très humain. Même La Symphonie inachevée est devenue emblématique pour cela : bien qu’elle semble finie, on l’appelle encore « inachevée ». Nous avons alors écouté tous les fragments des opéras de Schubert et lu les livrets en notant ce que nous aimions, ce que nous trouvions intéressant, ou ce qui ne l’était pas. Raphaël m’a proposé de récrire le livret car nous estimions que les histoires manquaient globalement d’intérêt. J’avais un peu peur car travailler à partir d’un livret pour moi est une forme de sécurité. Raphaëlle Blin m’a beaucoup aidée dans l’écriture des dialogues. Nous avons fait des séances d’improvisation théâtrale en essayant d’imaginer ce que les personnages pourraient dire, en tachant d’écrire dans une langue qui puisse être chantée. Ce fut un énorme travail.

Quel genre d’histoire L’Autre voyage raconte-t-il ?

Ce n’est pas une histoire au sens narratif, linéaire. Dans un des livrets originels, j’ai été inspirée par la figure mystérieuse d’un homme qui erre dans un cimetière et tombe nez-à-nez sur sa propre tombe, ouverte. L’aspect gothique de l’histoire m’avait beaucoup intéressée, son côté roman noir. D’ailleurs le premier titre que j’avais choisi pour le spectacle était « Schubert, un roman noir ». J’ai eu envie de conserver le romantisme gothique de ce texte. Cet « Autre voyage », c’est une métaphore du deuil de cet homme, figure de la mélancolie, qui a perdu une partie de lui-même en perdant son fils, et l’autopsie du corps et de la mémoire qu’il doit opérer pour le laisser partir.

Il y a un lien entre l’aspect fragmentaire de l’œuvre et la mémoire qui s’exprime par fulgurances, précisément de façon non linéaire… Dans Mémoire de fille d’Annie Ernaux que tu avais mis en scène à la Comédie française, tu avais aussi fragmenté la narratrice en trois personnages différents, comme pour matérialiser ce morcellement du souvenir.

Exactement. Dans L’Autre voyage c’est la même chose, le spectacle est fragmenté car la mémoire travaille par boucles, par fulgurances, par flashs. J’ai composé toutes les traces de la présence de l’enfant perdu et des points de vue de la mère et du père qui se croisent au cours de ce voyage.

Que symbolise cet enfant pour toi ?

L’enfant pour moi est connecté à l’idée d’inachèvement. Je me suis rendue compte qu’il n’existait pas de mot pour décrire quelqu’un qui perd un enfant. C’est une sorte d’impossibilité de l’existence.

J’ai le sentiment qu’il y a toujours une obscurité dans ton travail, que même la clarté est enveloppée d’une sorte d’obscurité…

C’est vrai que je ne me sens pas très bien quand il y a trop de lumière… Elle m’endort alors que l’obscurité m’aide à rester éveillée, concentrée. Quand il y a une mauvaise lumière dans un lieu par exemple, je m’en vais. Je pense que la manière d’éclairer un espace c’est aussi une façon de voir les choses. Il y a un moment où j’attends vraiment la fin de la journée. Dans la journée je suis parfois perdue, je sens la solitude des êtres humains. Mais la nuit, pour moi, la solitude n’existe pas. C’est étrange, mais je ne me sens pas seule.

Peut-être aussi parce que ta nuit est peuplée d’êtres innombrables !

(Rires). Voilà, j’ai d’autres amis…

Comment cette obsession de la nuit se répercute-t-elle dans ton travail ?

Je crois dans la manière un peu onirique de composer les images, d’appeler une forme après l’autre. C’est un processus qui n’est pas logique. Ma logique à moi n’est pas rationnelle, elle est comme le rêve, elle recompose la réalité. La nuit j’arrive à mieux voir et je pense que dans le travail, c’est la même chose. Je me permets de composer des choses dans une liberté qui est nocturne, insoumise à la règle du jour.

Tu as une formation d’actrice et la question du corps me semble fondamentale dans ton travail. Ta direction d’acteurs est très chorégraphiée, millimétrée, hiératique. Tu crées aussi des performances où tu mets en scène ton propre corps.

Oui. Mon expérience d’actrice est fondamentale car je ne saurais pas comment diriger les acteurs sans comprendre ce qu’il se passe dans leur corps. En général j’exerce les gestes et les mouvements moi-même avant de les proposer aux acteurs. J’aime laisser cette trace sur moi avant de travailler sur le corps des autres comme une sculpture. C’est important car il y a certes le décor mais ce sont avant tout des corps qui sont sur scène, tout ce qui se passe est délivré par des corps. Et c’est vrai qu’au théâtre, j’aime quand il y a des décalages, je n’aime pas les choses réalistes. Tout ce qui est chorégraphie, composition et gestes doivent pour moi être distanciés de la réalité. Et puis il y a une beauté dans le geste, tout simplement. Je cherche une beauté, juste ça. Comme une décoration, parfois. Et sur la musique il y a parfois l’espace pour faire cela, écouter et voir juste des choses belles.

Pour toi le corps est donc à la fois sujet et objet.

Oui je l’objective mais je cherche quand même à le faire vivre dans l’espace où il est. Sur scène, il faut au corps une autre densité.

Tu laisses les acteurs te faire des propositions parfois ?

Oui et d’ailleurs je découvre des choses que je n’aurais jamais imaginées. Mais tout le monde n’a pas cette capacité. Je le fais de plus en plus quand je trouve de bons acteurs car c’est là qu’il y a une vérité de l’être. Je ne pense pas que l’acteur peut tout faire, qu’il peut incarner tous les rôles. Je pense qu’à un moment donné il y a une limite qui est l’apparence de son propre corps. C’est aussi pour cela qu’à l’opéra nous choisissons les rôles, et que chaque rôle appelle un corps. Au théâtre aussi je passe de plus en plus de temps à choisir les corps.

En fait tu conçois des tableaux vivants où tes acteurs sont comme des œuvres du Bernin : des sculptures en mouvement.

Oui, c’est ça.

La mythologie est aussi une dimension importante de ton travail. Elle est inscrite dans la mémoire collective et sert de point de référence mais c’est aussi une manière de se distancier du réel.  

Oui. J’ai besoin d’entrer dans un autre monde, de me plonger ailleurs. Dans le spectacle je veux que quelque chose soit altéré par rapport aux codes habituels de la gestuelle. D’ailleurs, à l’opéra, il y a déjà une altération puisque les acteurs s’expriment en chantant. C’est ma manière à moi de plonger le spectateur dans une autre dimension, de détourner son attention de la vie réelle pour se concentrer sur une autre réalité. La mythologie a la capacité de convoquer des symboles qui permettent au spectateur de comprendre même au milieu d’un langage abstrait. La mythologie c’est aussi la poésie, c’est quelque chose d’universel, qui se situe au-delà de l’espace et du temps.

L’Autre voyage, d’après Schubert, du 5 au 11 février à l’Opéra Comique puis du 6 au 8 mars à l’opéra de Dijon

Lisez le compte-rendu du spectacle ici

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